"The Coffee-brown Boy Looks at the Black Boy" : Guerre froide, lutte pour la liberté culturelle et solidarités transnationales "minoritaires" en Inde Circulations littéraires afro-asiatiques : écrire, publier, traduire après Bandung

Intervenant : Laetitia Zecchini

Université Paris Nanterre Bât. Bianca et René Zazzo Salle C102A
200 avenue de la République 92001 Nanterre Cedex

La guerre froide apparaît comme un arrière-plan indispensable – mais souvent oublié – pour comprendre l’histoire des modernismes en Inde et des circulations littéraires transnationales qui l’ont nourri.
Je m’intéresse depuis plusieurs années à la manière dont la guerre froide a contribué à façonner la scène littéraire et culturelle indienne, à une époque où, comme d’autres pays, l’Inde a pu servir de champ de bataille entre les deux blocs qui s’affrontaient aussi à travers tout un « arsenal » culturel (par le biais de financement de revues, de conférences, d’expositions et festivals, de programmes de traduction et d’édition, etc.) Ce contexte permet de relire l’histoire postcoloniale et transnationale des circulations d’auteurs et de textes ; d’éclairer l’impact de littératures, formes et débats spécifiques dans les années 50 et 60, mais aussi de prendre la mesure de la lutte de certains écrivains pour court-circuiter cette bipolarisation du monde et se réinventer, en puisant dans une « mondialité » aussi permise par la guerre froide les moyens d’une véritable indépendance politique, littéraire, critique et culturelle, mais aussi pour tenter de construire des solidarités « minoritaires » .
« Provincialiser l’Europe », comme nous invite, dans le sillage de Dipesh Chakrabarty, le texte d’intention de ce colloque, c’est donc d’abord prendre la mesure de l’omniprésence de l’héritage européen en contexte postcolonial. Et c’est avec cet héritage européen ou occidental, dont les auteurs auxquels je m’attacherai ici sont pétris, qu’ils luttent ou ferraillent – cette lutte prend donc aussi la forme d’une lutte avec soi. Voici ce que l’essai « The Coffee-Brown Boy Looks at the Black Boy », publié en 1970 dans la revue Quest (émanation de la branche indienne du Congrès pour la Liberté de la Culture, indirectement financée par la CIA), illustre à la fois magistralement et douloureusement. Dans ce long texte rageur aux accents fanoniens, J. S. Saxena trouve dans la lutte, la littérature et la musique afro-américaines une affiliation minoritaire, qui éclaire en même temps les écueils et les possibles de sa propre situation indienne. Quelles formes, quels imaginaires, quels combats peut-on encore revendiquer comme "sien" ? Comment se défaire des attributs, des cadres, des mots et des images de « l’autre » ? Comment cesser d’écrire, de penser, et même de souffrir comme ? "Imprisoned in other people’s metaphors, the Indian cannot even experience his prison. ... But human beings are not a dustbin for any and every culture’s rubbish. ... Put them in a frame, sometime they will break out of it and begin to live".

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