L’impossible parole de la femme subsaharienne immigrée en France dans Maman a un amant de Calixthe Beyala. Maman a un amant est un roman choral : c’est le fils de Maryam, surnommé Loukoum, qui est le narrateur principal, mais, à chaque début de chapitre, Maryam s’adresse sur le mode épistolaire à une mystérieuse « Amie ». Ce roman prend la suite du Petit Prince de Belleville qui raconte les affres d’Abdou, le père. Les paroles de Maryam sont transcrites en italiques, et constituent un contre-point mélancolique à la prose joyeuse de Loukoum. J’essaierai de montrer comment ce procédé littéraire permet de suggérer l’invisibilisation de la parole des femmes subsahariennes immigrées à Paris, à la fois auprès leur communauté d’immigrés et auprès de la communauté d’origine française. J’analyserai d’abord le fait que Maryam raconte la manière dont elle a été fortement incitée à se taire, à accepter en silence les infidélités de son mari et ses co-épouses, à cause surtout de sa stérilité. Je verrai ensuite comment, au moment où elle se libère de l’emprise de son mari grâce à une certaine autonomie financière et à un amant d’origine française, n’appartenant pas à sa communauté, elle est de nouveau contrainte au silence par l’ensemble des hommes de sa communauté immigrée, appelée par Loukoum « les Nègres de Belleville. » Enfin, je verrai qu’elle recherche une oreille attentive auprès des femmes blanches sans succès, en étudiant le personnage de Madame Saddock, féministe blanche qui vient discuter avec Maryam et Soumana, sa co-épouse, et « l’Amie », à laquelle les lettres sont adressées, et qui se révèle être une interlocutrice fantasmée, témoignant de l’impossibilité pour Maryam de confier son histoire de femme à qui que ce soit. Je m’appuierai dans ce travail sur la réflexion d’Odile Cazenave dans Afrique sur Seine, qui montre qu’hommes et femmes subsahariens ne vivent pas de la même manière la migration en France dans les romans de Calixthe Beyala. J’utiliserai aussi la parole même de Calixthe Beyala dans Lettre d’une Africaine à ses soeurs occidentales, où elle apparaît comme une Maryam triomphante, animée par le désir de faire entendre la spécificité de son féminisme aux femmes françaises d’origine française.
L’impossible parole de la femme subsaharienne immigrée en France dans Maman a un amant de Calixthe Beyala Chapitre d’ouvrage - 2021
Marion Coste, « L’impossible parole de la femme subsaharienne immigrée en France dans Maman a un amant de Calixthe Beyala
», in Les migrations féminines, 2021
Résumé