Inculte : pratiques éditoriales, gestes collectifs et inflexions esthétiques Appel à contribution

Organisateur : Alexandre Gefen

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Lancement de l'appel :

Colloque Paris 3 Sorbonne-Nouvelle

Inculte : pratiques éditoriales, gestes collectifs et inflexions esthétiques
7 et 8 février 2020
Fondé en 2004, le collectif Inculte est à la fois une revue, une constellation d’écrivains à géométrie variable et une maison d’éditions.

Depuis les débuts de la revue, ses auteurs mènent une intense réflexion sur les renouvellements de la littérature française et étrangère, de sa place et de ses enjeux politiques dans la société. Riche d’une production originale (écritures, essais collectifs, traductions…) et de rééditions ambitieuses (numéros de la revue de L’Arc autour de Bataille, Deleuze…), le groupe Inculte a agrégé autour de lui toute une génération d’écrivains (Éric Chevillard, Pierre Senges, Olivia Rosenthal, Marie Cosnay, Tristan Garcia, Philippe Vasset) qui partagent leurs interrogations sur les rapports entre fiction et documents, culture savante et populaire pour repenser les savoirs et les pouvoirs du récit. Le collectif n’a cessé en outre de manifester sa curiosité pour les littératures étrangères, comme en témoignent la place des traducteurs dans le comité éditorial (Claro, Nicolas Richard, Jérôme Schmidt) et l’importance des auteurs étrangers dans la revue (entretiens avec Bret Easton Ellis, William Gass, Richard Powers) ou dans le catalogue d’Inculte/Dernière marge (traduction de la revue The Believer, notamment). C’est dire la place centrale du collectif et des éditions Inculte dans la littérature française du XXIesiècle et l’urgence de mettre en perspective l’histoire et la position éditoriale et esthétique du collectif.
En France, Inculte s’est fait largement connaître non seulement à partir de la revue, mais aussi à partir d’ouvrages collectifs qui servent aujourd’hui de références, notamment Devenirs du roman(2007) et Devenirs du roman 2 : écritures et matériaux(2014). Le premier volume rassemble un grand nombre de romanciers pour théoriser le roman en « non-spécialistes » de la théorie du roman. Le roman se voit interrogé dans sa capacité à penser le monde contemporain, évalué à l’aune de son rapport au réel par des romanciers aussi différents qu’Éric Chevillard et Antoine Volodine, Philippe Vasset ou Pierre Senges. Le collectif Inculte s’est intéressé dans un second volume au traitement du document, matériau premier que l’écriture littéraire reproduit tel quel, narrativise ou fictionnalise. Là encore le volume rassemble des contributions d’écrivains venus d’horizons littéraires variés (roman romanesque, non-fiction, poésie, performance…). À partir de courts essais théoriques ou de textes libres, des écrivains tels que Emmanuel Adely, Olivia Rosenthal, Nicole Caligaris, Thomas Clerc, Philippe Artières réfléchissent à ces questions d’ordre poétique en les mettant en perspective à partir de leur propre pratique personnelle ou à partir d’une histoire ou d’une théorie des genres narratifs.
Axes retenus
Un renouvellement des écritures du collectif et des pensées de la communauté
Alors qu’en France le temps des groupes et des manifestes est révolu depuis l’infléchissement des avant-gardes, s’invente là un espace ouvert de création collective, une constellation de singularités. Si l’époque est àl’essoufflement des avant-gardes, elle se marque cependant par une urgence du politique à un moment de dérégulation libérale, de perte de pouvoir projectif, d’horizon utopique barré. Les membres d’Inculte cherchent à réinventer des formes collectives à l’heure des morcellements communautaires et des replis individualistes : ils s’inscrivent dans un moment de pensée renouvelée de la communauté –Agamben, Nancy, Rancière, Blanchot– et cherchent une communauté qui ne soit pas fondée sur une identité préalable. Le mouvement même de constitution de la communauté est un mouvement d’ altération, d’hospitalité à des formes d’altérité. Mais c’est là unecommunauté qui se donne essentiellement dans ses pratiques, dans ses usages, dans ses rites amicaux et ses gestes éditoriaux.Cette ouverture du collectif, sensible à travers la multiplicité des noms d’auteur.e.s sollicité.e.s dans la revue ou dans le cadre d’ouvrages tels que Devenirs du romanou Le Livre des places, pose encore la question de ses limites : de quels types de pensée, de littérature, de pratiques ou de postures auctoriales, les membres d’Inculte entendent-ils se distinguer ? Dans quelle mesure certains discours d’intention sur ce qui caractérise une « littérature inculte[1] » trouvent-ils un écho dans les pratiques d’écriture individuelle ou collective des auteur.e.s ?
Une pensée paradoxale des savoirs de la littérature
La revue se donne d’emblée une ambition transdisciplinaire, nouant étroitement littérature et pensée. Ce refus des cloisonnements réaffirme la teneur cognitive de la littérature et son articulation aux autres lieux de pensée : philosophie, mais aussi sciences sociales. Par cette dynamique à la croisée des disciplines, c’est la littérature comme outil de connaissance sur le monde qui est revendiquée. Mais cette capacité à faire savoir, à cheminer de concert dans les connaissances contemporaines, les membres du collectif le font à rebours de toute prétention à l’expertise et en refus de l’autorité du spécialiste. S’invente là une posture d’amateur, buissonnant en contrebande dans le champ des savoirs, sans s’interdire ni l’érudition la plus minutieuse, ni la potacherie la plus ironique, s’aventurant dans les errances mélancoliques de Sebald et s’adonnant au portrait d’Anna Nicole Smith, consacrant un volume en 2006 à la coupe de monde de football aussi bien qu’à discuter l’œuvre de Gilles Deleuze. Les trajectoires de la revue emblématisent un moment de décloisonnement des champs, où des pratiques indisciplinées ou indisciplinaires mobilisent archives et documents, mais pour les revivifier par un art du montage et une pratique imaginative du dispositif. Contre toute autorité, tout sérieux empesé, il s’agit d’« amener des non-spécialistes sur un terrain qui n’est pas le leur, par définition, mais où nous les imaginions féconds » pour « théoriser sur le roman, en incultes, en non-professionnels de la littérature. En praticiens avant tout[2]. »
Une politique de la littérature
Les écrivains du groupe Incultereprésentent une tendance de fond de la littérature française contemporaine : le retour, à l’heure de la mondialisation, à des questions politiques. Celles-ci ne sont plus envisagées en des termes idéologiques mais plutôt comme des descriptions analytiques et concrètes de problèmes de terrain. Que l’on songe à Boussolede Mathias Enard, Défaut d’Origined’Oliver Rohe, à Maylis de Kérangal avec Naissance d’un pont ou Tangente vers l’est, à Arno Bertina avec Des châteaux qui brûlent,àUne île, une forteresse d’Hélène Gaudyou encore auvolume collectif Le Livre des places, la question du lieu (ou du non-lieu) est le point d’entrée d’une réflexion sur nos socio-démocraties contemporaines, leurs lumières et leurs zones d’ombre. Chacune de ces formes d’occupation territoriale interroge et inquiète les idées d’origine, de nation, de monde commun : autant de questions brûlantes ressaisies par l’écriture dense des Incultes, qui viennent se situer au cœur des représentations pour les interroger de l’intérieur. Trouver une voix juste pour saisir les réalités les plus complexes et singulières devient l’acte démocratique fondamental par lequel les écrivains vont occuper l’espace public, qu’il s’agisse de comprendre la situation des migrants ou des habitants de banlieues. Écrivains du réel, dans toute sa matérialité et sa brutalité, les Incultes, qui est un collectifd’écrivains au sens le plus fort, participent donc dela construction du commun par leur engagement personnel, ou les ateliers d’écritures qu’ils animent, comme par la volonté d’installer par la littérature une réflexion pratique et concrète[3], en un sens similaire aux formes d’occupation imprévues et provisoires qui caractérisent l’action démocratique dans les « places », au plus près des formes de vie minoritaires, en revivifiant contre le storytellingdominant une forme d’attentionlittéraireégalitaire et respectueuse des fragilités.
Ce colloque n’a pas pour enjeu d’analyser séparément les oeuvres des membres, mais de dessiner des propositions transversales. Il privilégiera les analyses du groupe, ses contacts avec le champ littéraire, ses pratiques collectives. Parmi les enjeux retenus, on peut songer à :
- Les formes d’écriture collective
- Les pratiques documentaires
- Le jeu de reprise de gestes et de postures des avant-gardes et des manifestes
- Stratégies éditoriales
- Portrait d’une revue
- Place du collectif au sein des collectifs contemporains
Le colloque se tiendra à l’Université Paris-3 les 7 et 8 février 2020. Les propositions de communication sont à renvoyer pour le 1eseptembre à Aurélie Adler : aurelie.adler chez u-picardie.fr ; Jean-Marc Baud : jmarcbaud chez gmail.com ; Laurent Demanze : laurent.demanze chez univ-grenoble-alpes.fr ; Alexandre Gefen : alexandre.gefen chez gmail.com
Comité d’organisation : Aurélie Adler, Jean-Marc Baud, Laurent Demanze, Alexandre Gefen

[1]Mathieu Larnaudie, « Propositions pour une littérature inculte », NRF, numéro spécial centenaire, 2009.
[2]Collectif Inculte, Devenirs du roman, Paris, Éditions Inculte, 2007, p. 12.
[3]Voir par exemple le projet d’écriture d’un roman collectif – Blosne mode d’emploi– à partir d’entretiens et d’enquêtes de terrain menés dans le quartier du Blosne à Rennes, https://www.letriangle.org/-Les-artistes-43-

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