Ombres et transparences : journée jeunes chercheur·e·s de la SELF XX-XXI Journée d’étude

Organisateurs : Aude Leblond, Solenne Montier, Anysia Troin-Guis

Salle du Conseil
Maison de la Recherche de Paris 3, 4 rue des Irlandais, 75005

Plusieurs indices permettent de constater dans le monde contemporain la puissance symbolique et opératoire accordée à la transparence, associée aux valeurs de visibilité, de clarté, de vérité, et souvent envisagée comme un idéal devant guider notre rapport au monde et aux autres. En témoignent par exemple le succès des architectures urbaines qui rappellent le Panoptique, la restriction de la vie privée à l’âge du numérique, les discours politiques érigeant l’exigence de transparence en principe éthique, ou encore, dans le champ médical, l’ambition de voir en transparence totale le corps humain et, partant, d’élucider son fonctionnement, notamment dans les recherches récentes en neurosciences sur les différentes fonctions du cerveau.

Présent dans les imaginaires politiques de la Révolution française, encouragé par les progrès techniques au fil du XIXe siècle, redoublé par la naissance de la psychanalyse et de la radiographie à l’aube du XXesiècle, le désir de transparence n’a cessé de gagner en ampleur durant le XXesiècle jusqu’à aujourd’hui. Le domaine contemporain de la « communication », qu’elle soit entendue comme fait – c’est-à-dire une interaction, médiatisée ou non, à l’échelle individuelle ou institutionnelle – ou, dans son emploi le plus usuel, comme compétence, confirme que la transparence ne relève plus seulement d’un imaginaire mais d’une véritable idéologie.

Cette journée d’études invite à examiner la manière dont la littérature s’est saisie de cet imaginaire du XXesiècle jusqu’au XXIesiècle. Mise en forme dans l’esthétique romantique, la transparence semble connaître une nouvelle fortune littéraire au tournant des années 1920, comme en témoignent la « maison de verre » rêvée par Breton dans Nadjaen 1928 et la création par Valéry de « l’homme de verre », Monsieur Teste, en 1926. Ces deux œuvres font écho aux réalisations architecturales contemporaines mettant le verre à l’honneur mais réinvestissent le motif de la transparence à travers la figuration d’un sujet qui se dérobe à la visibilité totale.

Dans la seconde moitié du siècle, le développement des technologies de la communication et la mise en place progressive d’une injonction à la transparence dans le champ juridique ou politique coïncident avec une méfiance accrue des écrivains envers les mythes de la transparence. Édouard Glissant plaide ainsi en faveur d’une « pensée de l’opacité », envisagée comme un rempart aux « vérités absolues », aux « voies univoques » et aux « choix irréversibles[1] ». On voit que l’évolution des discours littéraires sur la transparence est étroitement corrélée à l’évolution des mentalités au fil du siècle. En mettant en scène ses dangers ou ses dérives et en révélant sa part fantasmatique, les œuvres littéraires ont ainsi prêté une attention particulière à ce qui trouble, relativise ou conteste les valeurs accordées à la transparence dans le champ social ou politique. Le concept de « matité » développé par Roland Barthes dès 1970 indique d’ailleurs que la réflexion sur les limites de la transparence concerne aussi bien la production littéraire que le discours critique. Par ailleurs, certaines logiques émergent, dégagées notamment par Jay David Bolter et Richard Grusin, dans leur ouvrage Remediation. Le concept d’immediacyque l’on peut traduire par « immédiacie » suppose l’effacement du médium offrant une mimésis qui se veut totale, transparente. Néanmoins, cette illusion esthétique est mise à mal et à l’heure du XXIe siècle et ses avancées technologiques, il serait, en ce sens, intéressant d’interroger les rapports entre transparence et médium, notamment concernant les écritures numériques.

Le champ littéraire semble ainsi opposer aux excès possibles de la transparence des zones d’ombre et des réserves, qu’elle fait valoir à travers l’attention portée aux non-dits, la tentation de l’illisibilité, la défense de l’invisibilité ou encore l’exploration du silence. Ce sont ces choix tout à la fois esthétiques et éthiques qu’il s’agira d’analyser au sein des différents supports et formes d’écritures narratives, théâtrales et poétiques de la littérature française et francophone du XXe et du XXIe siècle.

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