Thiéfaine dans le texte Journée d’étude

Organisateur : Rémi Astruc

Université Paris 3 Sorbonne nouvelle - Centre Censier, salle 430
13 rue Santeuil 75005 Paris

Argumentaire :

En 2016, nous avons fait paraître un premier recueil d’explorations de l’œuvre d’Hubert-Félix Thiéfaine intitulé « Thiéfaine, poésie souterraine », publié chez RKI Press . Ce livre était composé d’analyses portant sur divers aspects de l’œuvre (parmi d’autres : les figures de femme, l’humour, la présence de la mort dans les textes, la question du public, etc.) C’était le premier ouvrage à envisager sous l’angle d’une critique « savante » — des chercheurs issus du monde académique — l’œuvre du chanteur et son apport spécifique à la poésie française.

Il manquait cependant de porter l’enquête directement sur les textes eux-mêmes, en les envisageant non plus cette fois dans l’ensemble biographique, thématique ou sociolo-gique de l’œuvre tout entière, mais étudiés pour eux-mêmes, dans l’unité de sens que chaque chanson-poème présente. C’est ce que nous proposons de faire aujourd’hui, en analysant les paroles de plusieurs chansons emblématiques du chanteur, pour entrer dans le détail de quelques textes qui ont marqué la carrière de Thiéfaine.

Obscurités et mystère

Bien qu’HFT soit l’auteur de chansons très connues, dont les paroles hantent parfois depuis longtemps les esprits, certaines ont pu malgré tout rester relativement obscures et mal comprises. Le vocabulaire exigeant du chanteur, les allusions difficiles à saisir ou les fantaisies du langage poétique lui-même font qu’elles sont souvent remplies de zones d’ombres, qu’elles résistent à l’interprétation et demeurent ainsi enveloppées de mystère.

Ce caractère hermétique participe évidemment beaucoup à la séduction qu’opèrent ces textes et plus globalement à l’attrait que suscite l’univers du chanteur. Cependant, on souhaite relever le pari que soumettre à une analyse littéraire les chansons de Thiéfaine, plutôt que nuire à l’intérêt qu’elles suscitent, devrait contribuer à faire mieux apprécier la richesse de celles-ci.

Car ce travail analytique n’est pas opéré spontanément par l’auditeur qui saisit parfois une atmosphère, réagit à des suites de mots, perçoit confusément un sens global, mais reste néanmoins souvent en-deçà d’une compréhension claire des textes. S’il est vrai qu’il n’en a pas besoin pour goûter pleinement la chanson, il arrive cependant que son esprit s’interroge sur le sens de tel ou tel vers, bute sur un mot ou sur une tournure inhabituelle. Rêvant certes à ce qui lui échappe, il lui reste souvent le désir d’une compréhension plus complète.

Une herméneutique des textes

Plus que d’autres peut-être, les textes de Thiéfaine invitent ainsi à une relecture cu-rieuse, qui visera à en explorer plus systématiquement les recoins obscurs et à en éclai-rer ce qui peut l’être. Une relecture respectueuse aussi, car il va de soi que ces zones d’ombre sont la plupart du temps directement poétiques : les chansons s’enveloppent ainsi d’une aura de mystère qui fait leur force et leur charme ; elles évoquent et suggè-rent, plus qu’elles ne désignent explicitement les choses. Mais, à la fois, un désir de mieux comprendre la portée des chansons gagne à être comblé par cette science de l’explication des textes qu’on appelle « l’herméneutique ». Familiers de l’interprétation des textes — les professeurs et enseignants (de Lettres, de français, de littérature, etc.) — paraissent ainsi les mieux placés pour s’acquitter de cette tâche, vu qu’ils sont les spécialistes reconnus de cet exercice qu’ils pratiquent pour certains quotidiennement dans leurs classes avec les grands textes de la littérature. C’est donc tout naturellement vers eux que nous nous tournons pour servir de guides dans l’exploration des arcanes du sens thiéfainien. Mais rien n’empêche à d’autres, en fonction de leurs goûts et spécialités propres (poètes, philosophes, psychanalystes, écrivains ou simples « fins lec-teurs »…) de proposer de partager les richesses et finesses de leurs interprétations. Ce sont toutefois les méthodes de l’analyse littéraire classique, celle que nous avons ren-contrées sur les bancs de l’école et que les professeurs de collège, de lycée et d’université pratiquent couramment pour expliquer les textes de leurs programmes — et en premier lieu les poèmes —, parce qu’elles ont en quelque sorte fait leurs preuves, qui seront privilégiées.

Il est intéressant de remarquer en passant que deux types de textes requièrent tradi-tionnellement une telle analyse, qu’on appelle « exégèse » : les textes littéraires et les textes religieux ou mystiques. Pourquoi ? Sans doute parce que la clarté de toute « révélation » profonde nécessite une part d’obscurité, au moins dans l’expression. C’est ainsi en tout cas que le philosophe Giorgio Agamben explique l’obscurité des paraboles. Mais pourquoi la littérature ? Parce qu’elle assume sans doute elle aussi — qu’on songe aux grands poèmes de Villon, Baudelaire, Rimbaud ou Apollinaire — une part de secret et de révélation. De fait, ce n’est pas un hasard si de nombreuses chansons de Thiéfaine présentent justement des affinités — voire une proximité — avec ces deux types de textes. Les paroles d’HFT aiment en effet jouer sur l’ambiguïté et la richesse d’un certain hermétisme poétique, et même d’un certain prophétisme… Cette double tonalité renforce à l’évidence une adhésion parfois presque mystique aux chansons : c’est la raison pour laquelle beaucoup, au-delà de sa génération, ont vibré aux mots de Thiéfaine, dans lesquels ils ont pu trouver une parole à la fois importante, profonde et familière.

Ce dont devront rendre compte ces explications de texte, c’est donc non seulement de la dimension poétique des textes (la valeur littéraire), mais, éventuellement, plus large-ment, de leur valeur mystique, voire philosophique (soit d’une forme de profondeur), soit encore de leur dimension ironique et ludique, tant certaines chansons se moquent aussi délibérément de ces prétentions intellectuelles.

De l’analyse littéraire des chansons de Thiéfaine

Chaque explication sera bien entendu une exploration personnelle et en partie subjec-tive des réseaux de significations de la chanson considérée ; elle ne prétendra pas déte-nir la vérité sur le texte mais proposera seulement d’essayer d’en éclairer un peu mieux le sens. Ce qui n’empêchera pas d’imaginer d’autres explications possibles, d’autres pistes herméneutiques, qui ne seront pas nécessairement moins bonnes. Mais celles qui seront proposées auront juste paru rendre compte de façon particulièrement stimulante et efficace de la richesse des textes et de leurs significations.

On peut ainsi espérer que l’amateur des chansons de Thiéfaine aura au minimum le plaisir de retrouver le texte qu’il aime, mais lu et compris autrement qu’il n’aura pu le faire lui-même ; au mieux, qu’il le redécouvrira à la lumière des explications qui lui seront proposées. Les chansons auront ainsi non seulement gardé leur magie, mais un envoûtement supplémentaire, dont on comprendra désormais mieux les raisons, sera donné à ressentir.

Les néophytes qui souhaitent découvrir un peu mieux l’œuvre du chanteur trouveront quant à eux quelques éléments précieux pour pénétrer dans un univers complexe et parfois difficile. Gageons que ces explications les aideront à poursuivre l’exploration plus avant et à découvrir ensuite par eux-mêmes les autres richesses de l’œuvre.

Les professeurs, pour leur part, pourront trouver dans ces pages — on l’espère du moins — des propositions stimulantes pour l’étude des chansons. Elles ont en tout cas l’ambition de présenter des sources d’inspiration pour que ceux qui le souhaitent puissent introduire un jour les textes de Thiéfaine dans leurs séquences scolaires, opérant la consécration et la transmission d’une œuvre désormais largement patrimoniale.

Modalités de participation

Une première rencontre est prévue à Paris le 13 décembre 2019 avec les personnes qui se seront déclarées intéressées pour apporter leur pierre à l’édifice par l’étude d’une chanson de leur choix. Cette réunion de travail, à laquelle nous vous invitons dans la mesure du possible à participer (un compte-rendu pourra être établi et transmis aux absents), permettra de dresser la liste des chansons étudiées et de s’entendre sur la procédure et la manière de mener les explications de texte. On y présentera des exemples d’études abouties et l’on discutera de méthode et de présentation, afin d’harmoniser le travail dès l’amont. Les explications de textes seront ensuite à remettre au plus tard à l’été 2020. Une seconde rencontre sera organisée au 2nd semestre 2020, pour faire entendre publiquement le travail abouti, lors d’une journée de présentation qui devrait avoir lieu à la Maison de la poésie à Paris (3e arrondissement).

Soit
-  jusqu’au 15 novembre 2019 : envoi des propositions
-  13 décembre 2019, 17h-20h, Paris : réunion d’harmonisation
-  jusqu’à juin 2020 : envoi des explications de texte
-  2e semestre 2020 : présentation publique du travail
-  fin 2020 : Sortie d’un ouvrage collectif « Thiéfaine par les textes »

Pour proposer l’analyse d’une chanson de Thiéfaine :

Envoyez un message avec le titre de la chanson, si possible quelques idées directrices ou pistes interprétatives (5 à 10 lignes) et une courte présentation de vous-même avec vos noms, adresses, et téléphone à astruc.remi chez orange.fr. Les propositions sont attendues jusqu’au 15 novembre 2019. L’annonce des propositions retenues aura lieu après la première réunion du groupe de travail.

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