Penser les subalternités : des Subaltern Studies aux animalités Les subalternes, peuvent-elles/ils (parler) être écouté-e-s ?

Intervenants : Anne Castaing, Elena Langlais (Université de Nantes)

MSH Paris Nord
20, avenue George Sand – 93210 La Plaine Saint Denis

En mai 2014, le sociologue américain Vivek Chibber publiait dans les colonnes du Monde Diplomatique un article intitulé « Contre l’obsession des particularismes culturels. L’universalisme, une arme pour la gauche ». Il y déployait les arguments élaborés dans son best seller Postcolonial Theory and the Specter of Capital, publié en 2013, véritable diatribe contre la « Théorie Postcoloniale » et ses petits soldats ; en d’autres mots, les Subaltern Studies et trois de ses stars, Dipesh Chakrabarty, Partha Chatterjee et Ranajit Guha. Par leur critique sévère du marxisme et de ses visées universalisantes, par leur obsession des singularités historiques et culturelles, par leur politique des petits récits et des fragments, par leur populisme exotisant, les Subaltern Studies selon Chibber feraient le jeu du capitalisme et redoreraient par le même coup les discours orientalistes par la promotion d’une différence incommensurable entre Occident et Orient et la représentation misérabiliste et méprisante du peuple « oriental ».
Même très grossièrement résumé, le discours de Chibber invite à la levée de boucliers pour qui se situe chez les anti- comme chez les pro-. Au détriment d’une pensée complexe, nourrie d’une histoire singulière, coloniale, en décolonisation puis décolonisée, nourrie de même d’une structure sociale travaillée tant par la classe que par la caste, par un contexte de multilinguisme et de tensions religieuses, Chibber diffuse à leurs dépens certains aspects des Subaltern Studies, qu’il réduit à de simples partisans de la Postcolonial Theory, dans un contexte où une réflexion sur la différence culturelle et l’héritage colonial peine déjà à être menée. Il ignore là non seulement l’immense chantier historiographique mené par les Subaltern Studies depuis les années 1980, mais également la somme d’outils qu’ils ont pu développer pour penser les dominations et les « formes quotidiennes de résistance », et mettre en évidence les modes hégémoniques qu’elles élaborent.
Dans cette communication, nous mettrons en évidence certaines applications des Subaltern Studies quand il s’agit de penser la subalternité, et verrons qu’elles permettent justement non seulement de penser et de concevoir mais surtout d’entendre la différence dans la singularité de son propre langage. A cet égard, nous nous intéresserons particulièrement à la question animale pour montrer comment les outils développés par les Subaltern Studies permettent de penser l’animalité dans toute la complexité de sa formulation ou de sa non-formulation. À bien des égards, l’animal, le « plus autrui des autruis » (Levi-Strauss) peut en effet constituer une figure subalterne, ce que tendent à démontrer les militantismes issus de l’intersectionnalité. Portée ces dernières années par de multiples associations, la cause animale s’est invitée dans le débat public, posant la question de la prise en compte des intérêts animaux. De la même façon, les oeuvres d’art et ouvrages philosophiques qui tentent de donner la parole à des animaux en saisissant leur spécificité propre se font de plus en plus nombreux. Mais l’animal peut-il parler d’une voix propre ? Comment prendre en compte la multiplicité de ses langages, qui vont au-delà du logos ? Comment les traduire ? Au-delà de la question de l’expression de la voix animale se pose aussi celle de son auditeur : est-il possible de l’écouter et à quelles conditions ?

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