Si l’on connaît bien les chansons contestatrices de Léo Ferré, on oublie souvent que ce créateur polymorphe a aussi composé des textes proches du genre de l’essai, dans lesquels il expose ses conceptions sur l’homme et la société. Ces écrits, d’une prose qui rejoint souvent la poésie et la chanson, restent pour cette raison un corpus difficilement isolable du reste de sa production. Néanmoins, l’effort philosophique s’y ressent de façon plus nette qu’ailleurs. Pour autant, leur auteur, qui fait alors l’épreuve d’une forme d’écriture discursive et rationnelle, ne cesse de s’y confronter à la langue et de constituer celle-ci en objet majeur de son propos. Ces écrits philosophiques mettent en évidence que la contestation politique de Ferré est indissociable d’une réflexion sur l’écriture elle-même, telle que la mettent en jeu, ou en conflit, ces textes éprouvants, hybrides, toujours à l’orée de territoires et de registres d’expression divers : l’écriture de la contestation n’y fait jamais l’économie d’une réflexion sur ses propres conditions d’existence. Dans ces textes, au nombre desquels je compte surtout L’Anarchie est une formulation politique du désespoir 1 , La Méthode 2 , Technique de l’exil 3 , mais aussi Basta 4 et Il n’y a plus rien 5 , Léo Ferré évoque très souvent son travail de création en mettant en scène sa propre figure de poète à l’oeuvre, confronté à ce que serait, à ses yeux, une écriture de la contestation.
If we are familiar with the protest songs of Léo Ferré, we often forget that this polymorphous creator also composed texts close to the genre of the essay, in which he exposes his conceptions of man and society. These writings, of a prose that often joins poetry and song, remain for this reason a corpus difficult to isolate from the rest of his production. Nevertheless, the philosophical effort is felt there more clearly than elsewhere. However, their author, who was then experiencing a form of discursive and rational writing, never ceased to confront language and to constitute it as the major object of his subject. These philosophical writings show that Ferré’s political contestation is inseparable from a reflection on writing itself, such as put it into play, or in conflict, these trying, hybrid texts, always on the edge of territories. and various registers of expression : the writing of the contestation never spares a reflection on its own conditions of existence. In these texts, among which I count above all Anarchy is a political formulation of despair 1 , The Method 2 , Technique of exile 3 , but also Basta 4 and There is nothing more 5 , Léo Ferré evokes very often his creative work by staging his own figure as a poet at work, confronted with what would be, in his eyes, a writing of contestation.