Lu Xun (1881-1936) ou l’éveil de la Chine France Culture

Intervenant : Coraline Jortay

Lu Xun (1881-1936) ou l’éveil de la Chine
France Culture - Toute une vie
Samedi 13 janvier, 17h

Le prix Nobel Kenzaburō Ōe dit de lui qu’il est "le plus grand écrivain asiatique produit au XXe siècle". Pour d’autres, il est à la source de toute la littérature du tiers-monde, marchant souvent sur une ligne fine entre critiquer les folies de ses personnages et sympathiser avec ces mêmes folies.

Avec

  • Sebastian Veg Sinologue, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de l’histoire intellectuelle de la Chine moderne et contemporaine
  • Jean-Philippe Béja Sinologue, politologue, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI/Sciences Po).
  • Cai Chongguo Professeur de philosophie, écrivain et ancien dissident de la place Tian’anmen à Pékin en 1989
  • Anne Kerlan Sinologue, historienne de la Chine et du cinéma chinois
  • Coraline Jortay Sinologue, chargée de recherche au CNRS et spécialiste de l’histoire littéraire chinoise
  • Lily Eclimont Journaliste spécialiste de la Chine, ancienne correspondante en Chine pour TF1

Écrivain anarchisant et féministe, Lu Xun est le maître de la satire et de l’ironie. Deux armes qu’il manie afin de nous raconter l’histoire d’une Chine qui va rater un rendez-vous historique avec un tout autre destin. En inventant la littérature chinoise moderne, il ouvre le vieil "Empire du Milieu" déclinant, aux idées nouvelles, à la République, à la démocratie et au « Je ». Finit les masses informes anonymes et sans voix, serviles et malléables, place à l’individu, au « moi » et au « surmoi » et avec eux, à la question et à la critique.

Il laisse une œuvre majeure qui a extirpé la Chine de ses archaïsmes, lui offrant ainsi de nouvelles perspectives, une autre vision d’elle-même et du monde. Publié dans la revue littéraire Nouvelle Jeunesse, Le journal d’un fou révolutionne la culture chinoise. Lu Xun, à travers son personnage persécuté par l’obsession d’être mangé, y utilise la folie pour s’éloigner de ce qui semble a priori normal tout en montrant que la vraie folie serait d’avoir bonne conscience dans un système politique barbare où les hommes se voient contraints à s’entre-tuer. La civilisation chinoise, une « histoire de cannibalisme ». Son contemporain, Paul Claudel aurait pu résumer ainsi sa pensée : Il n’y a rien de plus dangereux pour les nations comme pour les individus que les vessies qui se regardent comme des lanternes et que des lanternes qui tiennent absolument à se faire prendre pour des messies ! De même qu’à tous les surhommes il faut préférer ce spectacle rare entre tous : un homme juste, et juste un homme.

Lu Xun, de son vrai nom Zhou Shuren, est l’incarnation de l’individu tourmenté par les évènements de son époque. Héros des visionnaires libéraux tournés vers l’Occident, il est également célébré, panthéonisé par les communistes qui ne l’ont jamais combattu.

Aimé de tous, il a su faire naître dans l’esprit des Chinois, un sentiment qui ne les quittera plus jamais, et ce, malgré les errements du maoïsme, celui d’appartenir à une Nation. Il a donné à la Chine une conscience patriotique, depuis, colonne vertébrale de cet immense pays. Si la littérature a en commun avec la révolution le refus de l’ordre des choses, elle s’en sépare dès lors que la révolution, une fois victorieuse, devient un nouveau pouvoir. N’en est-il pas ainsi aujourd’hui dans la Chine de Xi Jinping ? Le confucianisme et ses « vieilleries » sont critiqués tandis qu’il lance le Mouvement de la Nouvelle Culture que l’histoire retiendra comme la Révolution du 4 mai 1919. En prenant la tête du Mouvement, Lu Xun va changer l’Histoire de la Chine. Le 4 mai 1919, c’est le « jour où Confucius est mort » ! L’écriture devient terreau révolutionnaire. Mais une seule question semble l’habiter comme si toute son œuvre n’était que la poursuite d’une longue, implacable et douloureuse enquête sur « le caractère des Chinois ». Comment sommes-nous donc fait que nous tolérions une telle inhumanité dans notre société, se demandera-t-il toute sa vie ?

Lu Xun, miroir de la Chine, est sans aucun doute le fondateur potentiel d’une « modernité asiatique ». Aujourd’hui encore, son œuvre est pertinente à bien des égards pour lire la Chine du 21ème siècle.

Lectures des textes par Olivier Martineau et Guillaume Baldy.
Extraits de Le journal d’un fou de Lu Xun, Essais sur le Chine de Simon Leys, La mauvaise herbe de Lu Xun, traduction de Simon Leys, dans Les habits neufs du président Mao

Un documentaire d’Alain Lewkowicz, réalisé par Guillaume Baldy. Archives Ina, Hervé Evanno. Coordination, Christine Bernard. Attachée de production et page web, Sylvia Favre-Steyaert.

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