Chateaubriand fait l’éloge du Panorama de Jérusalem de Pierre Prévôt, qu’il confronte à sa propre description de la ville dans l’Itinéraire ; Jules Janin ouvre L’Âne mort et la Femme guillotinée par le sombre récit du massacre d’un peccata par des dogues à la Barrière du Combat ; Nerval rend compte avec minutie du diorama Le Déluge, ce « mystère à grand spectacle » ; Gautier se fait le thuriféraire de ce « bon et brave cirque », comme Barbey d’Aurevilly, qui loue « le seul théâtre où la perfection soit de rigueur » ; Baudelaire intitule le chapitre des Paradis artificiels où sont décrites les visions du haschisch « Le théâtre de Séraphin » ; Flaubert convie George Sand à une représentation de la Tentation de saint Antoine, donnée par les marionnettes du père Legrain, à la foire Saint-Romain, à Rouen…
Il y a, tout au long du XIXe siècle, ce tropisme : des écrivains se tournent vers les spectacles généralement visuels que sont les spectacles de curiosité. Cette catégorie juridique est définie négativement : elle recouvre tous les spectacles qui ne sont pas reconnus comme des théâtres. Faut-il voir, dans cette illégitimité, la raison de la dilection qu’ils suscitent chez des écrivains désormais mages, mais marginalisés ? Ils s’identifient volontiers, en effet, aux illusionnistes et aux faiseurs de tours : « Le fond de ma nature est, quoi qu’on dise, le saltimbanque », écrit Flaubert à Louise Colet. Les Goncourt considèrent les artistes de cirque « avec un je ne sais quoi […] de sympathiquement apitoyé, comme si ces gens étaient de notre race et que tous, bobèches, historiens, philosophes, pantins et poètes, nous sautions héroïquement pour cet imbécile de public ». Et le Baudelaire du Spleen de Paris, qui vient de dédaigner la baraque du « vieux saltimbanque », voit en lui « l’image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur »…
Ce jeu d’identifications (qui vaudra aussi pour les peintres) a été souvent relevé, et il importe sans doute de l’interroger encore. Cependant, si c’est la plus apparente, ce n’est pas la seule façon dont la littérature et les spectacles de curiosité s’entrelacent. Toute une part de la littérature du XIXe siècle, celle des œuvres totalisantes, a ainsi pu être dite « panoramique », mais le roman, la poésie, l’histoire, le récit de voyage, certain théâtre ont, avec les spectacles optiques, de plus secrètes affinités.
Mais d’autres relations, et de différents ordres, qui pourraient être décrites, entre la littérature et le cirque, les spectacles des « jardins à divertissements » ou de la fête foraine, la danse et les bals, avec le café-concert, le théâtre de marionnettes ou le premier cinéma demeurent assez largement inexplorées. À cela, une raison, parmi d’autres peut-être : le secret mépris dont les spectacles de curiosité font l’objet, et la méconnaissance qui en procède.
Ce séminaire voudrait donc envisager dans leur complexité et dans leur diversité les relations entre la littérature et les spectacles de curiosité, en portant sur ces derniers un regard simplement historien.
Littérature et spectacles de curiosité
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